Mon entrée en sixième

Derrière une mèche raide et brune, l'adolescente me scrute la mine renfrognée. Je m'assieds à ses côtés au milieu d'une classe de sixième bruyante.

"Vous allez passer l'année à côté de cette petite. Vous l'aiderez à faire ses devoirs, à comprendre les cours" a conclu la directrice au moment de la rentrée.

Cela n'est pas du goût de ma voisine. Ses gestes sont brusques, elle claque son cahier sur la table, jette sa trousse à son côté, l'ouvre bruyamment et inscrit la date du devoir. Puis, elle plante le coude sur la table me tournant ostensiblement le dos. Quoi faire ? Elle a treize ans, j'en ai cinquante sept. Autour de nous, seize autres adolescents du même acabit attendent ma réaction. La remettre en place et faire une esclandre, la braquer définitivement contre moi ou user de patience et de diplomatie pour l'amener à m'accepter à ses côtés ? Dilemme ! Terrible dilemme.

Après un bonjour sonore, d'une voix douce, je lui chuchote de bien vouloir me montrer le cours que nous sommes en train d'étudier. Le prof pontifie tandis que je négocie une petite lucarne entre son coude et sa joue.

Si tu savais petite fille le peu d'envie que j'ai à te contrarier, si tu savais comme je me sens déplacée à tes côtés comme si je volais une part de ton intimité. Si tu savais comme j'aimerai avoir ton âge...

Mais, je suis là, à cause de tes parents, leur demande appuyée par un organisme dont le nom m'échappe, une demande en bonne et due forme, validée, certifiée. Mon contrat accepté pour remplir la fonction. Alors, personne n'a rien à faire de mes scrupules et encore moins de ta mauvaise humeur.

Essayons de travailler ensemble sans nous faire trop de mal l'une à l'autre...

Le cours s'étire en longueur. Difficile de se retrouver en sixième à mon âge. Il faut réapprendre l'anglais, les maths, réviser le français.

Une question, une seule depuis cette rentrée : Qui est cette fillette ? Pourquoi lui soumettre une AVS ?